Depuis qu'il a commencé à écrire, à l'âge de 25 ans, Simenon ne lit plus de romans, mais des mémoires, des correspondances, des biographies et des journaux aussi, de la première à la dernière ligne.
Pourquoi se tenir au courant de la production, qui est déjà de la vie digérée par d'autres ? On ne fait pas du neuf avec des déjections... En plus, c'est une idée absolument fausse de prétendre qu'un livre s'écrit lentement. Les vrais romanciers travaillent vite : Balzac, Stendhal, Victor Hugo. Je crois que c'est depuis que les auteurs se sont pris pour des penseurs qu'ils pondent une œuvre par an, qu'ils cogitent en silence ! Et puis, voyez-vous, je refuse de juger qui que ce soit et quoi que ce soit. On oublie souvent cette parole profonde de l'Evangile... Enfin ! Je suis incapable de me mouvoir dans l'abstraction. Non, je ne suis pas fait pour penser et ce que je dis maintenant n'a aucune valeur... Mon besoin, c'est d'écrire sans intention préalable, sans volonté déterminée de prendre une direction plutôt qu'une autre. C'est seulement quand j'ai terminé un livre que je m'aperçois qu'il me fallait fouiller, par l'intermédiaire de mes personnages, un coin de moi-même qui devait encore inconsciemment me tarabiscoter. »
Georges Simenon travaillait ses personnages avant de leur donner vie puis il leur donnait un cadre. Il dit à ce propos :
« Ce personnage incarné, je dois lui trouver une identité, une maison, des parents, des ramifications, une vie. Une fois rentré chez moi, je dresse des listes de noms pour découvrir celui qui cadrera le mieux avec son aspect, sa nationalité et sa mentalité. C'est dans les annuaires de téléphone que je regarde, et il me faut parfois plusieurs heures pour en venir à bout. Une fois découvert, je l'inscris sur une grande enveloppe jaune, sur laquelle je note toujours tous mes renseignements. Pourquoi une enveloppe ? Par habitude, rien d'autre ! Je développe ensuite sa maison et le lieu où elle se situe. Pour cela, j'ai recours aux plans des villes dont je ne me sépare jamais, même en voyage. Je connais enfin tous les détails, toutes les particularités de cette maison, de la rue, des alentours. J'ai en quelque sorte besoin de planter un décor, de tout savoir, y compris des éléments qui, peut-être, ne me serviront pas. J'investis mon personnage d'un passé ; la suite n'est plus qu'une question de mathématiques : étant donné la situation, le caractère de l'individu, je cherche alors l'événement qui l'obligera à aller jusqu'au bout de lui-même... et moi avec ! Une fois le premier chapitre ordonné, le drame noué, j'écris. Je deviens cet homme ou cette femme. Je ne vois plus rien, rideaux fermés, je ne me montre plus. Et quand je rentre dans la réalité, j'ai l'impression que c'est le monde qui m'entoure, qui n'est pas réel. D'ailleurs, le mien, c'est le vrai. »
(Sources : L'illustré N° 50 - décembre 1957)