Le loup-cervier. — Sa beauté. — Une queue trop courte. — Madame n'a pas de chemise. — Le loup-cervier chasseur. — Léopold Ier. — Lynx gourmet. — L'ours et la tabatière. — Le sanglier chirurgien. — Un serpent sensible. — Loup-garou. — Les Parlements de Lyon de Paris. — Un fiancé loup-garou. — Un mariage rompu. — Anecdote, un paysan du Périgord. — Le chien de M.le maire. — Mon général, je suis loup-garou. — Sur les bords de l'Alma et du Mincio.
Commençons par déclarer que le loup-cervier, dont le véritable nom est le lynx, n'appartient pas au genre loup, mais au genre chat.
Pourquoi l'a-t-on appelé loup-cervier ? Parce qu'il est carnassier intrépide et que le cerf est son mets favori.
Le loup-cervier est un charmant animal.
Aussi agile que fort, il grimpe sur les arbres avec une merveilleuse facilité pour surprendre les oiseaux dans leur nid. Quand il lui prend fantaisie de manger du poisson, il se jette à l'eau comme un simple canard, dévore carpes et brochets, et finit son repas en croquant quelque oiseau aquatique.
Il est plein de grâce et de légèreté : son oeil est brillant, mais cependant doux et expressif ; comme le chat, il est d'une propreté recherchée et passe des heures entières à lisser sa belle fourrure, qui est fort estimée. Le blanc, le brun, le gris, le roux et le oir, composent le dessin de sa robe. Ses oreilles, droites et pointues, sont surmontées de deux jolis bouquets de poils noirs en forme de pinceau et longs d'un pouce et demi.
Malheureusement pour lui, le loup-cervier à la queue un peu courte.
On ne peut pas tout avoir.
On reconnaissait autrefois à l'urine du lynx l'admirable propriété de se changer en pierre précieuse (lapis lyncarius), et l'on assurait que cet étrange animal avait la faculté de voir à travers la muraille et encore sans lunette. Cela me rappelle la plaisante anecdote de ce prisonnier belge qui prétendait lire une lettre enfouie sous terre. Un jour, deux dames vinrent le voir en prison.
Après les avoir saluées, il partit aussitôt d'un grand éclat de rire.
— Qu'avez-vous donc ? lui dit une de ses visiteuses.
— C'est que, madame, vous n'avez pas de chemise.
La dame s'en alla toute confuse. Le prisonnier avait dit vrai.
D'après les savants d'autrefois, le lynx serait au moins de la force de notre Belge.
Voici qui est moins extraordianire, mais plus vrai. En Perse, en Suède, en RUssie et au Malabar, on dresse parfaitement le lynx à la chasse.
Les chasseurs sont à cheval et portent le lynx en croupe.
Quand le gibier gazelle ou élan apparaît, le chasseur le montre au lynx. Celui-ci descend, se glisse doucement derrière les buissons et les rochers, ramps dans les hautes herbes, s'approche en louvoyant et sans bruit, toujours se démasquant derrière les inégalités du terrain, s'arrêtant subitement et se couchant à plat ventre quand il craint d'être aperçu, puis reprennant sa démarche lente et insidieuse ; enfin, quand il se croit assez près de sa victime, il calcule sa distance, s'élance tout à coup en cinq à six bonds prodigieux et d'une vitesse incroyable ; il l'atteint, la saisit, l'étrangle ; il lui fait ensuite un trou derrière le crâne, et, par cette ouverture, lui suce la cervelle à l'aide de sa langue hérissée de petites épines.
J'ai remarqué que chaque animal avait sa façon favorite de tuer.
Par exemple, l'ours s'avance vers sa victime en lui tendant les bras comme à un ami,et lui ouvre le crâne comme nous ouvrons une tabatière.
Quant au sanglier, il ne manque jamais de commencer par ouvrir le ventre de son adversaire, comme s'il voulait faire son autopsie.
En Amérique, il existe un serpent qui crève d'abord les yeux de sa victime. C'est peut-être par délicatesse, pour lui épargner le spectavle de sa mort.
Je reviens au loup-cervier.
L'empereur Léopold Ier avait deux lunx, aussi bien apprivoisés que des chiens.
Quand il allait à la chasse, un de ces animaux sautait sur la croupe de son cheval, et l'autre derrière ses courtisans.
Aussitôt qu'une pièce de gibier paraissait, les deux lynx s'élançaient, la surprenaient, l'étranglaient et revenaient tranquillement, sans être rappelés, reprendre leur place, l'un sur le cheval de l'empereur, l'autre sur celui de son courtisan, puis ils se mettaient à lisser modestement leurs pattes comme si de rien n'était.
Le loup-cervier chasse le cerf, l'antilope, l'élan, la gazelle et l'écureuil. Il est très friand du lièvre, du faisan, du lapin et de la perdrix.
Avouons qu'il n'a pas trop mauvais goût.
Vous voyez le loup-cervier beau, famillier, intelligent, gourmet, grand amateur de perdreaux. Eh bien, le loup-cervier n'est autre que le fameux et terrible loup-garou des légendes. Il a été la terreur de nos aïeux, et les sorciers étaient obligés de revêti sa peau tous les vendredis, depuis le lever de la lune jusqu'à son coucher.
Chose singulière ! étrange folie ! beaucoup de mmalheureux, accusés de magie, avouaient non-seulement qu'ils avaient accisté au sabbat, mais encore que, sous la forme de loup-garou, ils avaient dévoré des chiens et mangés des enfants.
En 1720, il y avait à Etampes une espèce de fou qui se précipitait sur les passants, les mordait, et criait ou plutôt hurlait qu'il était un loup-garou. Quelqu'un lui fit observer qu'il était fait comme tout le monde.
— Mais ma peau de loup, dit-il, s'est retournée en dedans ; on le crut, et on l'écorcha pour voir la redoutable peau, qui persista à rester invisible. L'infortuné mourut le jour même.
Laroche-Flavin rapporte un arrêt du Parlement de Lyon, du 18 janvier 1574, qui condamne au feu Gille Garnier, lequel ayant renoucé à Dieu et s'étant obligé par serment de ne plus servir que le dialbe, avait été changé en loup-garou. En 1778, le Parlement de Paris condamna Jacques Rollet, convaincu d'avoir, en qualité de loup-garou, mangé une bonne partie d'un petit garçon qui lui était tombé sous la dent.
Chaque ville, au moyen âge, avait son loup-garou. C'était le moine bourru à Paris, la mala bestia à Toulouse, louloup nègre à Clermont, le grand loup à Blois, le roi Hugon à Tours, grande gueule à Dijon, griffe de fer à Bourges.
Le chevalier de Beauvous raconte qu'un jeune homme de Châteautoux, appelé Hugues Rosin, était sur le point d'apouser une demoiselle qu'il n'aimait pas beaucoup. Le jour du contrat arrivé, Hugue déclara d'une voix timide qu'il ne pouvait pas se marier.
— Est-ce que ma fille ne resait pas jolies ? insinua la mère de la prétendue.
— Est-ce qu'elle n'a pas une belle dot ? ajouta le père.
— Je ne puis me marier, répéta Hugues, je suis loup-garou pour dix ans.
Il jeta aussitôt sur le parquet une tête de chien toute saignante, et s'enfuit en poussant un hurlement terrible.
La demoiselle trouva qu'attendre dix ans ce serat un peu long, et Hugue Rosen resta libre.
Je termine par une anecdote que je déclare aussi inédite qu'authentique.
Il y a seulement quelques années, un paysan du Périgord paraissait devant le conseil de révision ; il avait le numéro 1 et il se portait comme u charme. Il fut déclaré excellent pour le service.
— Messieurs, dit-il, je ne puis pas partir ; il faut que vous m'exemptiez.
— Etes-vous fils de veuve ? dir le général
— Non, monsieur ; mais je suis loup-garou. Dernièrement, j'ai mangé Papillon, le chien de M. le maire, et j'ai failli croquer un dimanche l'enfant de Toinette Gounou ; mais il était un peu maigre, puis il avait la rougeole.
— C'est bien, répliqua le général, olors on vous mettra dans le régiment des loups-garous ; c'est toujours lui qui marche le premier au feu.
— Mais, mon général, c'est donc vrai qu'il y en a des loups-garous ?
— Vous ne l'êtes donc pas, vous ?
— Je l'ai peut-être été, mon général, mais il y a bien longtemps ; je vous jure que je ne le suis plus.
— C'est fâcheux, continua le général ; mais vous entrerez dans le réginement des loups-garous, ça vous apprendra à mentir.
Quelques temps après, notre paysan entrait dans un régiment de zouaves, ces glorieux et terribles loups-garous qui ont si bien hurlé sur les bords de l'Alma et du Mincio.
PITRE-CHEVALIER