À Mme V. M.
Il y avait une fois un roi et une reine qui régnaient sur un petit royaume : Yvetot, Monaco, ou quelque autre de même importance. C’étaient, s’il faut en croire la tradition, de fort bonnes gens. Le roi était un savant et un philosophe ; il partageait son temps entre les affaires de l’État, qui n’étaient pas bien grosses, les petites fêtes de famille qu’il offrait à ses amis (car il avait des amis, non des courtisans), et l’étude, qui était son occupation favorite. La reine peignait des fleurs, enluminait de beaux livres, jouait de la mandoline, et dirigeait sa maison avec l’économie d’une bonne ménagère ; mais elle consacrait surtout ses soins à l’éducation de sa fille.
Car Leurs Majestés avaient une fille. Ne demandez pas si elle était belle, sage, gracieuse... cela va sans dire, et si les soupirants foisonnaient ; songez ! Une princesse douée de toutes les perfections !... Des chevaliers des barons, des marquis, des ducs, des princes de sang royal, briguaient à l’envi l’honneur de l’épouser.
Mais Yolande, — c’était, s’il vous plaît, le nom de cette charmante personne, — Yolande, se souciait peu d’être riche et puissante. Elle n’avait point d’ambition, et pourvu que son mari fût jeune, beau, spirituel, brave, tendre et constant, elle ne lui demandait rien de plus. On n’est pas moins exigeante, n’est-il pas vrai ?
Néanmoins, ne trouvant, parmi ses nombreux adorateurs, personne qui lui parût posséder ces qualités essentielles à un degré suffisant, elle ne se pressait pas de faire choix d’un époux.
Ses parents s’en désolaient, mais ils ne voulaient point la contraindre, et se contentaient de lui offrir de nouveaux partis ; à quoi elle répondait :
— Tous ces gens-là ne sont point mon fait : j’aime mieux attendre que mal prendre.
Enfin pourtant, comme on la pressait un jour plus vivement que de coutume :
— Vous le voulez, dit-elle, chers et vénérés parents ? Soit : faites donc savoir, mon père à vos sujets, à vos voisins et à vos alliés, que je serai la femme de celui qui pourra trouver le « livre mystérieux » où l’on apprend à rendre femme heureuse.
— Qu’est-ce à dire, s’écria le roi, et de quel livre parles-tu ? J’en puis remontrer aux plus érudits, en fait de livres, et je ne connais pas celui-là.
— Moi, je le connais bien, répondit Yolande, mais je ne veux pas le dire.
— Même à ton père et roi ?
— Même à mon père et roi.
— Tu es folle, dit la reine.
— Non, ma mère, j’ai toute ma raison.
— Mais si personne ne peut trouver de livre ?
— Alors, je resterai vieille fille, sauf votre plaisir. Mais rassurez-vous, il ne manque pas d’habiles gens dans votre beau royaume, et je gage qu’il s’y rencontrera un galant cavalier assez avisé pour satisfaire à ma demande.
— Eh ! Vive Dieu ! Fit le roi, il m’est avis que je t’entends, ma fille, et ton idée n’est point mauvaise. Embrasse-moi. Je vais de ce pas faire publier l’édit.
Voyant que son auguste époux approuvait le projet de sa fille, la reine ne fit plus d’objections.
Dès le lendemain, des hérauts allaient porter dans toutes les provinces du royaume et dans les États limitrophes la nouvelle de la résolution prise par la princesse.
Un mois était accordé aux concurrents pour se préparer à l’épreuve, et tous étaient convoqués pour le trente et unième jour, où la princesse devait se prononcer devant tous les grands personnages de l’État.
La plupart des seigneurs qui s’étaient jusqu’alors flattés d’obtenir la main de Yolande furent, à vrai dire, fort désappointés en apprenant le tout de force qu’on exigeait d’eux. Ils étaient tous ignorants, ne sachant lire que la messe et écrire pour signer leur nom. Ah ! S’il se fût agi de donner un bon coup de lance ou d’épée !... Mais déterrer, dans quel grenier ? Un livre dont personne jamais n’avait ouï parler, qui peut-être n’existait pas !...
Beaucoup pensèrent qu’on voulait se moquer et se débarrasser d’eux par une mystification ; d’autres, que la princesse était folle. Quelques-uns allèrent consulter les sorciers et les astrologues. Les plus orthodoxes s’adressèrent à leur curé ou bien aux moines du plus prochain couvent. On vit enfin qui se mirent à fouiller courageusement les bibliothèques et se plongèrent jusqu’aux yeux dans la poussière des bouquins.
Or, il y avait alors dans la capitale du royaume un jeune clerc de bonne mine, nommé Marcel, fort bien avec les dames, estimé des honnêtes gens, et auquel on reprochait seulement un caractère trop romanesque.
Il était rare que la princesse sortît sans qu’il se trouvât sur son passage, s’agenouillant derrière elle à l’église, et même osant, lorsqu’elle se promenait dans la ville le jour de sa fête, jeter à ses pieds de gros bouquets.
On ne doutait pas qu’il ne fût épris d’elle, et souvent on l’en raillait ; mais il laissait dire et n’en faisait ni plus ni moins.
Quant à la belle Yolande, elle l’avait remarqué sans nul doute, car les femmes ont des yeux de lynx pour voir qui les admire et les aime ; mais daignait-elle prendre à merci dans son cœur cet humble soupirant ?...
Quoi qu’il en soit, le jeune clerc, par hasard, se trouva tout le premier devant le héraut chargé d’annoncer devant le palais même, aux âmes et féaux sujets du roi, comme quoi la très-haute et noble damoiselle avait décidé de prendre pour époux celui qui montrerait le livre mystérieux où l’on apprend à rendre sa femme heureuse.
Ayant entendu cela, il devint tout pensif et fut s’enfermer tout le mois dans sa chambrette.
Mais le matin du jour fixé pour l’épreuve, on le vit sortir, vêtu de ses plus beaux habits, et se diriger vers le palais.
Il était fort pâle, mais ses yeux étaient plus brillants que de coutume, et il marchait d’un pas ferme et la tête haute, comme un guerrier résolu de vaincre ou de mourir.
Les gardes, ayant ordre de laisser passer tous ceux qui se présentaient, pourvu qu’il fussent gentilshommes, ne cherchèrent point à l’empêcher d’entrer et se bornèrent à hausser les épaules et à sourire en le voyant.
La grande salle du palais était pleine de seigneurs magnifiquement costumés et de dames en toilettes éblouissantes. Au fond, sur une estrade couverte d’un riche tapis, s’élevait un trône où le roi siégeait à côté de la reine. La princesse Yolande était assise à leurs pieds, sur un tabouret de satin rose à franges et à broderies d’argent. Elle portait sur la tête, pour tout ornement, une couronne de roses blanches qui, avec sa toilette élégante et simple, faisait briller sa beauté virginale de cet état naturel qui l’art accompagne sans y pouvoir rien ajouter.
On lisait sur son charmant visage une émotion mal contenue, et de temps en temps elle promenait des regards inquiets et furtifs sur le double rang des prétendants qui se tenaient debout en face d’elle.
Marcel, en entrant, alla se placer dans un coin d’où il pouvait, sans être remarqué, tout voir à son aise.
En effet, les nobles personnages qui se trouvaient là ne firent nulle attention à lui, le prenant pour quelques page ou valet de la maison du roi.
Mais Yolande le reconnut tout d’abord. Ses yeux même rencontrèrent un instant ceux du jeune homme, et ses joues prirent tout à coup une vive teinte d’incarnat, tandis que celles de Marcel, au contraire, devinrent plus pâles encore qu’auparavant.
Cependant, la séance ayant été ouverte avec le cérémonial en usage dans les grandes circonstances, le roi invita les prétendants à venir successivement, dans l’ordre que leur assignaient leur rang et leur âge, plier le genou devant la princesse et lui soumettre le résultat de leurs recherches. Je vous fais grâce du récit de cet examen, qui dura fort longtemps. L’un présentait une Bible, l’autre un Missel, plusieurs apportaient de vieux cahiers de parchemin, dont ils eussent été fort embarrassés de déchiffrer quatre mots. Et à chaque fois la princesse secouait sa jolie tête en disant :
— Messire, ce n’est point là le livre mystérieux.
Et le prétendant s’en retournait confus à se place.
Bref, le défilé s’acheva ainsi sans qu’aucun eût pu dire le mot de l’énigme.
Je me trompe ; il restait encore un candidat à l’interroger : c’était Marcel. Il fit quelques pas en chancelant.
— Et toi aussi, s’écria le roi ; toi aussi, jeune insensé !
Marcel, pour toute réponse, fit un profond salut et vint en tremblant s’agenouiller devant Yolande, non moins tremblante que lui.
— Allons, parle, reprit le roi, et voyons si tu as trouvé le livre mystérieux.
— Sire roi, dit Marcel en hésitant, il me semble que le seul livre où l’on puisse apprendre à faire le bonheur de la femme que l’on aime, c’est...
— Et bien, c’est ?...
— C’est son cœur, dit enfin le jeune homme d’une voix plus ferme, tandis que son regard interrogeait anxieusement celui de Yolande.
Celle-ci ne peut retenir un faible cri de joie.
— Par ma couronne, s’écria le roi, l’enfant dit vrai ! Mais quoi ! Ma fille, consentirais-tu vraiment ?...
Yolande ne laissa pas achever. Elle tendit vivement à Marcel sa petite main, qu’il inonda de larmes.
— Qu’il soit donc fait selon ta volonté ! reprit le roi.
Et s’adressant aux assistants :
— Messeigneurs et mesdames, ajouta-t-il, ce jeune homme est dès à présent mon gendre et mon héritier.
Je vous laisse à imaginer la piteuse mine des prétendants vaincus. Ils ne furent pas moins obligés de crier « vivat » et d’offrir leurs félicitations au nouveau prince.
Le mariage d’Yolande et de Marcel fut célébré peu de temps après, avec des fêtes et des réjouissances qui mirent pendant trois jours tout le peuple en liesse. On n’avait vu jamais un couple plus charmant ni mieux assorti. Jamais on n’en vit de plus parfaitement heureux.
C’est qu’ils savaient lire couramment dans le livre mystérieux, c’est-à-dire dans le cœur l’un de l’autre.
Arthur MANGIN