"Allons au bois le may cueillir
Pour la coutume maintenir !
Nous ouïrons des oiseaux le glay
dont ils font le bois retentir
Ce premier jour du mois de may."
Charles d'Orléans (1394 - 1465)
X
1er mai 1481 - Prière d’Alayone
Vrai Dieu, souverain Roi des rois, de par la pitié supernelle.
Quelle ne fut pas ma surprise ce matin de découvrir que ma porte avait été esmayée (1). Aurais-je un prétendant mystérieux ?
Aujourd’hui était la fête du May. Le village en émoi est très proche du château. J’ai demandé la permission à notre bon évêque de pouvoir m’y rendre. Je m’étais bien gardée de lui confesser qu’une branche avait été déposée devant ma porte. Il ne fit aucune objection disant qu’il s’agissait de célébrer la nature, don de notre seigneur.
Je dois vous avouer Père Éternel, quelque désobéissance. Malgré l’interdiction de frère Guillaume et du Seigneur Geoffroy de Saint Géran, je me suis aventurée dans les pages de Tristan et Iseult. Je n’avais point failli à ma promesse jusqu’à lors, mais par un jour de très grande la chaleur, j’ai ouvert les fenêtres de la bibliothèque. Depuis ce temps, j’en avais oublié cet ouvrage, mais à la lumière du jour il m’est apparu rayonnant. Quelle émotion cet amour tragique. Tristan et la belle aux cheveux d’or, s’aimant d’une affection pure cela malgré les lois, les hommes, et malgré eux-mêmes.
Me voici donc dès laudes au centre du village afin d’y contempler l’arbre de May qui venait d’y être planté. Bientôt, jeunes gents et damoiselles se rendront au pied du marmenteau au dessein de le décorer de belles confections qu’ils auront réalisées. Comme je ne songeais pas à participer à cette fête, je n’avais point œuvré, je décidais de partir dans le pré voisin afin d’y cueillir quelques fleurs et brindilles et d’y concevoir, moi aussi, mon offrande à cet arbre.
C’est là que je le vis. Le loup. Beau, majestueux, sauvage. Il me fixait de son regard pailleté d’or, mais je n’eus aucun effroi. Mes pieds étaient figés au sol, pareils aux autres herbes folles. J’étais subjuguée par cet animal. Son pas était lent, il se déplaçait tête basse vers moi, sans nul doute sa nouvelle proie. Puis il cessa un moment sa progression. Pas un mouvement ne survint, de lui, ni de moi. Nous restions là, immobiles, à nous contempler. Une ne ses pattes positionnée vers l’avant, le nez face au vent à à peine une paume du sol et son regard immuablement plongé dans le mien. Cette vision était un ravissement et un flot d’exaltantes émotions.
Je me rappelais soudain Saint Hervé et Saint Thégonnec le premier prit un loup en place de son âne et le second en place de son cerf, tous deux afin de tirer leur attelage. Toujours debout et la tête basse, il s’assit ex abrupto. Jamais il ne m’offrit le spectacle de ses crocs reluisants ni me fit entendre un grognement. Quelle étrange réaction. Une magnifique fourrure d’un beau gris argenté discrètement bleuté brillant au soleil, des babines tombantes sans aucun signe d’animosité, puis soudain, l’animal porta sa tête de côté, les oreilles légèrement relevées. Il passa d’un air sauvage à un aspect mignonnet. Le rythme de mon cœur s’apaisa, le pécore semblait attendre quelque chose de moi. Je m’en suis approchée prise d’une irrésistible envie de sentir la douceur de son pelage. Il me fixait encore. Je me suis agenouillée tout près de lui, puis il s’est couché. Je ne sais combien de temps nous sommes restés là, inertes, juste à apprécier ce moment.
Je n’ai pas osé avancer ma main vers lui, je ne lui ai non plus parlé. Brusquement, il releva le front. Il dut entrevoir un bruit incommodant car il se dressa sur ses pattes et prit la fuite à travers bois. Je suis restée encore un moment sur les genoux, il me semblait être dans un rêve, de ceux que l'on ne souhaite quitter. Puis j’entendis les cloches sonner les nones. J’avais manqué la décoration de l’arbre. Je m’en revins troublée au centre du village.
Beaucoup de jeunes gens se trouvaient là. Je n’en connaissais que quelques-uns. Il m’apparut que je n’aimais que la compagnie de mes livres et de mon Moine de pourtant dix ans mon aîné. Notre amour commun pour les livres nous avait rapprochés. Les incunables sont l’unique raison qui lui fit prendre la robe. Parfois, à la vue de ses lectures, je me questionne sur la façon dont il reçoit sa vie de chasteté, lui si beau, à cette fête, il aurait fait chavirer le cœur de plus d’une jouvencelle.
La journée s’est achevée si vite tant je me suis amusée. C’est la première fois que je dansais, certains damoiseaux, Thomas, Jean et Audoin, intrigués par ma présence m’ont conté fleurettes jusqu’aux vêpres. Certaines damoiselles en avaient l’air contrariées. Nous nous sommes quittés, promettant de nous revoir. Et je m’en suis retournée sans connaître le nom de celui qui avait déposé la branche devant ma porte.
Quelle singulière journée Seigneur !
À mon arrivée au château, mon Seigneur de Saint Géran avait l’air contrarié. J’imagine que j’en suis fautive. Je connais son projet me voir prendre le voile. Mais Seigneur, vous lisez en mon cœur, votre compagnie m’est essentielle. J’affectionne de vous prier, je sais que vous veillez sur moi, mais je ne suis pas assurée d’être pour vous une parfaite servante. J’aime le monde que vous avez bâti pour vos créatures. Je voyage grâce aux livres, et il me plaît d’imaginer qu’un jour je pourrais voir la réalité de ce vaste univers.
Dieu qui êtes en Trinité, je vous remercie pour toutes vos bontés
Amen
esmayer (1) : Le premier jour du mois de mai, on avait coutume de planter (esmayer) un arbre appelé « may ». Les jeunes gens le décoraient. Parfois une branche était posée à la porte d’une damoiselle par un prétendant.
Le site du roman : www.lemalleus.com