Le chêne de Saint-Jean était majestueux et connu dans toute la région pour avoir été planté par des moines sous le règne du roi Saint Louis. Romance et Jacob restèrent d’abord à quelques mètres de l’arbre pour admirer son tronc gigantesque. Si pendant près d’un siècle ses branches avaient été coupées pour en faire du bois de chauffage, il n’en allait plus de même aujourd’hui où les dizaines de bras élancés vers le ciel donnaient au tronc la splendeur d’une corolle de couleur marron et verte.
Les deux hommes s’approchèrent, se demandant quel message allait bien pouvoir leur transmettre le géant.
Ils ne découvrirent aucune inscription gravée sur le tronc, pas le moindre creux avec un message à l’intérieur : rien qui puisse indiquer quoi chercher. Soudain un bruit attira leur attention : quelque chose avait bougé dans les fourrés. Jacob se précipita et attrapa un galopin par le col :
« Qui es-tu, pourquoi nous espionnes-tu ? »
Le gamin tremblait de peur, sans doute impressionné par le duo que formaient les deux hommes.
« Ne me faites pas de mal, Monseigneur, je ne faisais rien que satisfaire ma curiosité, déjà une fort belle dame est venue comme vous admirer Sieur le Chêne il y a peu et je voulais savoir ce que Messire l’arbre avait de si intéressant pour que de nobles personnes viennent ainsi le mirer ! »
Jacob fronça les sourcils :
« Une fort belle dame, dis-tu ? Lui as-tu parlé, a-t-elle trouvé ici quelque chose qu’elle a pu prendre ?
– Non rien. Elle m’a simplement demandé de grimper sur l’arbre et de voir si quelque chose était gravé ou caché dans un trou, mais je n’ai rien trouvé ! Après avoir encore une fois tout examiné elle est partie, et ensuite, vous mes seigneurs, êtes arrivés et je me suis caché dans ces fougères ! »
Romance s’approcha ; ainsi donc Jane Carlisle les avait devancés, mais bonne nouvelle elle n’avait rien trouvé, mais, il en était certain, elle n’abandonnerait-elle pas si facilement aussi fallait-il découvrir avant elle le secret de ce chêne.
« Mon garçon, saurais-tu qui pourrait nous renseigner sur cet arbre, qui connaîtrait toutes les légendes qui lui sont associées ? »
Le gamin réfléchit un instant et regarda le prêtre droit dans les yeux.
« Il y a bien Babette la Sorcière qui vit dans une cabane non loin d’ici. Elle connaît tous les secrets de la forêt et assurément si le chêne cache quelque chose, Babette saura de quoi il s’agit !
– Pourrais-tu nous amener à elle ?
– C’est que… sa cabane est dans la forêt, que la nuit ne va pas tarder à tomber et que les animaux vont commencer à sortir ! »
Romance comprit où l’enfant voulait en venir, il lui jeta une pièce que le petit s’empressa de ramasser :
« Mais je peux vous y conduire ! »
Babette la Sorcière ainsi nommée par ce qu’elle vivait en dehors du village, était réputée pour connaître le moindre arbre, le moindre animal volant, marchant ou encore rampant qui vivait sous cette canopée. Mais ce qui intéressait encore plus les villageois était sa connaissance des plantes qui pouvaient les soigner ou des champignons qui pouvaient les nourrir ou au contraire les faire mourir.
Elle vivait en recluse, mais aimait malgré tout voir du monde aussi accueillit-elle la petite troupe avec bienveillance :
« Alors Gillou, quels sont ces deux messieurs qui t’accompagnent ?
Les deux hommes eurent vers la femme un geste de courtoisie, soulevant quelque peu leur chapeau, Romance prit encore l’initiative de la conversation :
« Nous sommes deux voyageurs qui nous intéressons particulièrement au vieux chêne, et le jeune Gillou ici présent a eu l’amabilité de nous conduire jusqu’à la personne qui selon ses dires serait la plus à même de nous en parler. »
La soubreveste avec les armoiries qui y étaient brodées n’avait pas échappé à la femme. Elle comprit très vite que les deux visiteurs ne s’intéressaient probablement pas à la flore locale.
Elle eut un sourire :
« Tu peux repartir Gillou, ces deux seigneurs sont mes invités pour le souper, je les reconduirai ensuite moi-même au village ! »
Le gamin, sachant qu’il était inutile de discuter, s’en retourna malgré une curiosité qui le taraudait. Pendant qu’il empruntait le chemin inverse vers le village, Romance et Jacob furent invités à entrer dans la cabane où une cheminée était en activité au milieu de laquelle trônait un chaudron dégageant une bonne odeur de soupe.
« Je vous en prie, Messieurs, prenez place ! »
Les deux hommes s’assirent autour de la table pendant que la femme s’affairait autour de la marmite.
La pièce unique de cette cabane était pauvrement meublée, mais propre. Un lit dans un coin, la cheminée de l’autre et ailleurs des étagères remplient de bocaux en terre à travers lesquels il était impossible de voir quoi que ce soit, et au plafond des plantes séchées ou en train de sécher pendaient remplissant la pièce d’odeurs épicées.
Babette servit à ses deux invités un bol de soupe accompagné d’une tranche de pain. Elle se servit également et s’installa en face des deux hommes :
« Alors, Messieurs, je vous écoute... Savez-vous si quelque chose s’est passé dernièrement près du grand chêne ?
– Qu’aurait-il bien pu se passer près du grand chêne ?
– Nous ne savons pas réellement ce que nous cherchons, notre sœur Séraphine, qui nous a demandé de nous rendre près de ce chêne, n’a pas pu nous dire plus. »
Babette posa son bol et regarda Romance :
« Pourquoi n’a-t-elle pu vous en dire plus ?
– Elle est décédée avant de pouvoir nous donner plus d’informations : elle a été sauvagement assassinée !
– Sœur Séraphine est morte ! »
Des larmes perlaient autour des yeux de la femme :
« Vous connaissiez notre sœur ?
– Oui, elle m’a accueilli au couvent à l’entrée de l’hiver dernier lorsque le froid était trop intense pour que je reste seule dans cette cabane. Ce même hiver, un visiteur est venu, la demandant personnellement. Il parlait italien, je n’ai donc pu comprendre ce qu’il voulait, mais après sa visite, la sœur semblait très agitée. Sachant que je connaissais bien la forêt, elle m’a demandé de l’accompagner un certain soir et de trouver où nous cacher près du chêne afin de pouvoir voir et entendre sans que personne ne nous aperçoive.
– Quel jour était-ce ?
– Je m’en souviens parfaitement, le lendemain de la fête des Saints, le 2 novembre. »
Romance fronça les sourcils, le 2 novembre fêtait Saint Malachie, ceci avait-il une importance ? Babette continua son récit :
« Nous nous sommes donc rendues toutes les deux au rendez-vous, bien cachées dans les buissons. Là on nous nous trouvions personne ne pouvait nous voir, mais nous avions tout le loisir d’observer. Ils sont venus, dix hommes à cheval, dont le visiteur du couvent, tous autour du grand chêne à parler en italien. Ils portaient une cape noire comme la vôtre Monsieur, mais le blason était différent : quatre carrés écartelés aux premier et quatrième d’azur, cernés de fleurs de lys et aux deuxième et troisième bandés de six pièces d’azur et d’or. Surmontait ces quatre carrés un faucon la tête cachée par un capuchon.
Babette continua :
– Ce qui m’a surtout impressionné, c’est le bijou !
Cette fois-ci ce fut Jacob qui l’interrompit ?
– Un bijou ? Pouvez-vous nous le décrire ?
– Un collier, qui brillait de mille feux, j’étais trop éloignée pour le distinguer nettement et puis sœur Séraphine, qui comprenait tout ce qui se disait semblait prête à s’évanouir, il nous fallait repartir vers le couvent. La seule chose qu’elle m’a dite est qu’elle devait avertir Rome et le Roi ».
Jacob regarda Romance, sans doute que c’est après avoir reçu le message de la sœur, que Rome décida d’envoyer Romance à Saint-Jean aux Bois, incognito, afin d’observer et de gagner la confiance des nones présentes. Ensuite la reine Marie était arrivée à Compiègne et tout s’était emballé trop vite jusqu’au malheureux évènement qui avait pris la vie de sœur Séraphine.
Sur le chemin du retour, les deux hommes restèrent silencieux, ce n’est qu’une fois à l’abbaye, dans le confort de son bureau que Romance prit la parole :
« L’emblème que nous a décrit la femme est celui de la Bourgogne. Le fait qu’il soit surmonté d’un faucon ne donne aucun indice sur une famille connue. Peut-être est-ce une organisation secrète, mais si c’est le cas pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ? Quant à cette réunion du 2 novembre, jour de la Saint Malachie, est-ce un hasard ou au contraire une date symbolique ? Et ce collier, qu’est-ce ce bijou ? À qui appartient-il et pourquoi a-t-il tant d’intérêt ? »
Jacob se décida :
– Il y a quelque chose mon père que vous ignorez, la meurtrière de sœur Séraphine, l’espionne anglaise, cherchait également après un collier…
Romance resta de marbre, Jacob continua…
– Il se trouve qu’à la demande de la Reine Anne je suis en possession d’un collier que le roi lui a offert ; elle souhaitait que je rencontre sœur Séraphine pour mettre le bijou en lieu sûr.
– Et où est ce bijou actuellement ?
– Avec moi, il faudrait me voler ma vie pour que quelqu’un puisse entrer en sa possession »
Romance regarda le jeune homme. Inutile de lui demander à voir ce collier, ce serait remettre en question la confiance qu’il venait de lui accorder :
– Très bien, la nuit est tombée et il serait trop dangereux pour vous de prendre le retour de Compiègne, je vais demander à une sœur de vous préparer une chambre et demain nous prendrons la route du château et vous annoncerez à la reine mère que vous devez de toute urgence repartir à Paris. Je vous y accompagnerai et nous demanderons une audience au Cardinal et lui raconterons les derniers évènements. »
Après avoir pris congé du prêtre, Jacob suivit une nonne qui lui montra la cellule qu’on lui avait préparée pour la nuit. Cette dernière fut agitée : un meurtre, la rencontre avec un prêtre agent de Rome, un chêne, une sorcière, dix comploteurs : beaucoup d’évènements pour une seule journée, mais combien captivante pour un jeune homme en mal d’aventures.
Demain il saluerait la reine, peut-être pour la dernière fois, du moins il l’espérait, et ensuite repartirait vers Paris pour d’autres aventures. De plus il reverrait Dame Aliénor. Oui la nuit la nuit promettait d’être courte, malgré tout le jour tarderait à venir.