Château de Compiègne
Marie de Médicis regardait ce prêtre agenouillé devant elle. Elle savait qui il était pour avoir écouté le déroulé des évènements de la bouche de son agente. Cette dernière avait été chargée par la reine mère de récupérer un collier qu’elle convoitait, mais qui appartenait à la Reine Anne. L’opération était pour l’instant un échec, mais la présence du prêtre face à elle augurait un retournement de situation.
Don Romance se releva :
« Je viens solliciter l’aide de Votre Altesse. Une de nos sœurs est morte hier dans notre église de Saint-Jean. Votre serviteur Jacob Baruch, ici présent, a été témoin de l'assassinat mais n’a point vu la coupable ! »
La reine se redressa et se signa vivement :
« Assassinat d’une sœur ? Dans une église ? Vous dites "la" coupable ? Il s’agirait d’une meurtrière ? »
Don Romance reprit son souffle :
« Effectivement Votre Altesse, Jacob a bien reconnu par le parfum et la voix qu’il s’agissait d’une femme, mais il n’a pas pu voir son visage. Ce qu’il sait, en revanche, c’est que l’agresseur cherchait un collier appartenant à la reine, votre belle fille ! »
Marie de Médicis était de plus en plus attentive. Deux choses la caractérisaient : l’amour du pouvoir et celui des pierres précieuses. Si elle savait, et pour cause, de quoi il en retournait, elle ignorait toujours où était ce bijou :
« Quelle aide puis-je vous apporter mon père ?
- J’aimerais que vous acceptiez que Jacob Baruch m’accompagne jusqu’à Paris ; il est le témoin d’un évènement grave, qui je pense, doit être rapporté au roi puisqu’il s’agit d’un objet qu’il a offert à son épouse ! »
Marie de Médicis prit le temps de réfléchir et enfin un sourire mauvais s’afficha sur son visage :
« Je veux bien accepter de vous laisser mon fidèle serviteur, mais je souhaite qu’une autre personne vous accompagne »
Une femme sortit de l’ombre, Lady Jane Carlisle apparut resplendissante devant toute l’assemblée. Romance frémit. Il avait déjà eu l’occasion de rencontrer cette femme à Rome alors qu’il revenait de son voyage au-delà des mers. D’une grande beauté, elle ne passait jamais inaperçue. Rousse, de grands yeux verts, un teint laiteux, des dents parfaitement blanches, elle était pour tout homme un objet de tentation. Pour Romance, il s’agissait plutôt de quelqu’un dont il fallait se méfier : « trop belle pour être honnête ! » De plus, une femme seule à Rome, cela n’avait rien de commun. Elle ne pouvait être là par hasard. Aussi s’était-il tenu très loin de cette impie mais comme tous les hommes qui la croisaient, il n’avait pas oublié son visage.
Marie de Médicis n’était pas peu fière de sa protégée, à croire que l’aura de cette femme rejaillissait sur elle. À ses yeux, imposer Lady Carlisle aux deux hommes était un coup de génie, mais surtout elle avait besoin que quelqu’un les surveille. D’autre part, elle venait de recevoir une missive rédigée dans un italien impeccable. Dans ce courrier, une communauté secrète se faisant appelée « les faucons de bourgogne » prétendait vouloir l’aider à s’échapper de Compiègne et combattre ensuite Richelieu ». Si la reine était sensible à la tournure de cette missive, elle souhaitait toutefois en apprendre davantage sur ces faucons de bourgogne et probablement qu’à Paris, son espionne pourrait obtenir quelques informations.
Au Louvre
Cela faisait déjà plusieurs heures que les trois cavaliers, deux hommes et une femme, galopaient vers la capitale et plus précisément vers le Louvre. Jane savait que ses deux compagnons lui étaient hostiles, mais elle n’en avait cure. S’ils savaient qu’elle était l’auteure du meurtre de Sœur Séraphine, ils ne pouvaient pas le prouver. De plus si la reine mère avait perdu tout crédit auprès de la Cour, elle Jane, avait d’autres cartes en mains et surtout d’autres appuis auxquels il serait temps, si le vent tournait, de faire appel. À cet instant ce qui comptait, était de s’éloigner de cette reine qui devenait encombrante et d’en apprendre plus sur ce collier et sur ce groupe encore secret. Ensuite elle verrait comment monnayer auprès du plus offrant ces informations.
Jacob, tout en chevauchant, sentait le bijou qui lui avait été confié lui brûler la peau. Bien qu’il voyageait en compagnie d’une démone, il éprouvait un sentiment de sécurité près de Don Romance qui veillait sur lui comme une mère poule. De plus, retourner au Louvre et revoir Dame de la Véga lui donnait des ailes.
À peine arrivé au Louvre, alors qu’il remettait son cheval aux personnels des écuries, il sentit une tape sur l’épaule :
« Eh bien jeune homme, on ne salue pas un vieil ami ? »
Jacob se retourna brusquement, déjà la main sur son épée, mais il interrompit immédiatement son geste lorsqu’il reconnut le personnage qui l’avait apostrophé :
« Raoul ! Mon ami Raoul d’Apremont ! Mais que faites-vous ici aux écuries plutôt qu’en salle d’armes ?
Raoul était mousquetaire du roi et portait la soubreveste bleue ornée d’une croix blanche de velours blanc, avec une fleur de lys à chaque extrémité. Jacob rêvait du jour où lui aussi entrerait dans la célèbre compagnie et se vêtirait cette même soubreveste.
Raoul d’Apremont était un gentilhomme lorrain de vieille noblesse française (1) dont l’illustre ancêtre avait été anobli par le roi Saint-Louis en récompense d’actes de bravoure lors des croisades. Il fallait croire que le tempérament guerrier de la famille se transmettait de génération en génération ! Raoul était d’un caractère joyeux. Il pouvait se montrer impulsif, mais sa perspicacité l’avait souvent sauvé d’un mauvais pas. Il aimait se battre, mais sans goût excessif pour le sang, à l’aise avec tous, mais sachant se montrer discret, il s’était attaché à Jacob lorsque celui-ci avait suivi son entraînement intensif au Louvre.
Les retrouvailles entre les deux amis furent de courtes durées, car déjà les yeux de Jacob se portèrent par-dessus l’épaule de Raoul. Aliénor de la Véga se tenait à l’entrée des écuries, attentant que son prétendant vienne à sa rencontre. Raoul suivit le regard de son compère et sourit :
« Très bien mon ami, nous nous reverrons tantôt ! »
Raoul eut un sourire en coin et partit comme il était venu. Aliénor semblait radieuse : revoir l’objet de toutes ses pensées la comblait de joie. Elle était amoureuse et savait qu’elle était payée de retour, mais quel avenir pour un couple aussi improbable que le leur ? Elle appartenait à la reine, elle était noble et lui d’ascendance juive. Lui, avait certes de la fortune, de l’éducation, mais cela ne suffirait pas à le faire accepter par la famille de la dame comme prétendant officiel. Il fallait d’abord qu’il fasse ses preuves au service du roi et elle devait l’encourager à poursuivre une route et qui lui permettrait de se couvrir de gloire.
Tandis que Jacob la couvait des yeux, la jeune femme prit la parole :
« Je dois vous amener auprès du roi, dans le bureau duquel vous attendent le Cardinal et Don Romance ! »
Après le passage de multiples salles et couloirs, Aliénor, suivit de Jacob arriva devant une porte qui fut très vite ouverte par un garde après que la dame lui eut soufflé son message. Jacob fut ensuite invité à entrer dans une grande pièce après qu’Aliénor ait pris congé.
Jacob vit trois hommes, l’un était assis, le visage fermé, probablement le roi, un autre debout à ses côtés, grand, sec, petite moustache, le cardinal et enfin Don Romance. Jacob se mit immédiatement à genou, impressionné par cette compagnie. Le Roi l’invita à se relever, mais c’est le cardinal qui prit la parole :
« Ce qui va être dit ici doit rester absolument secret, rien ne doit sortir de ces murs ». Puis il se tourna vers Don Romance : racontez toute l’histoire ! »
Comme pour la reine Marie, Romance raconta tout depuis le début, n’omettant pas cette fois-ci la réunion clandestine qui s’était tenue dans la forêt de Compiègne, autour du grand chêne de Saint Jean. Don Romance plaça fort l’accent sur le rôle de Jacob, souhaitant mettre en avant le courage et l’intelligence de ce dernier. Au fil des jours il avait appris apprécier ce jeune homme et si sa modeste contribution pouvait profiter à son avancement, il ferait ce qu’il fallait.
Le cardinal se tourna vers Jacob :
« Pouvez-vous montrer le collier au Père Romance ? »
Jacob s’exécuta, ouvrit son pourpoint et sortit le bijou d’une poche intérieure.
Le visage de Romance fut soudainement empreint d’une pâleur cadavérique. Tous les yeux se tournèrent vers lui :
« Ce collier est l’œuvre d’un ancien compagnon que je croyais disparu lors de notre voyage de retour des Amériques, le père Giuseppe Lumbini, puis-je le tenir ? »
Après l’assentiment du roi et du cardinal, Jacob tendit l’objet à Romance qui l’examina attentivement :
« Mon ami Giuseppe avait été joaillier avant d’embrasser la foi, et j’ai eu maintes fois l’occasion d’admirer des bijoux qu’il fabriquait pendant que nous vivions avec les tributs d’Amérique. Je reconnaîtrai ses œuvres entre mille et ce bijou en fait incontestablement partie ! »
Il reprit son examen : il savait que chaque diamant effilé correspondait à une lettre puis deux, puis trois et plus qui assemblées et séparées par une pierre de petite taille formaient un mot et ensuite une phrase.
Seuls Don Giuseppe et lui-même connaissaient ce langage appris chez les peuples autochtones des Amériques. Outre le code secret qu’il allait bientôt pouvoir révéler au Roi et au Cardinal, ce collier lui disait également que Don Giuseppe n’était pas mort dans la tempête, mais alors pourquoi n’avait-il pas donné signe de vie ?
Don Romance venait de déchiffrer le message
« Hoc nunc os ex ossibus meis et caro de carne mea », soit « Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ».
Le prêtre avait reconnu un verset du livre de la Genèse relatif à la création de la première femme, mais qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Quel était le message caché ?
Le Cardinal fronça les sourcils et sortit d’un secrétaire une boîte qu’il ouvrit : un autre collier, sensiblement identique au précédent apparu dans son écrin.
La reine a prétendu avoir fait exécuter une copie du bijou qui est en votre possession, mais en fait il n’en est rien, il s’agit de deux colliers bien distincts :
Romance prit cette deuxième parure et après avoir déchiffrer le message il releva la tête :
- le texte dit ceci : « Sapientiam tuam plumescit accipiter aut fugit, expandens alas suas ad austrum ? », soit « Est-ce avec ton discernement que le faucon prend son envol, qu’il déploie ses ailes vers le sud ? »
À l’énoncer de ce message les visages de tous les hommes présents se figèrent, le Cardinal s'exprima :
« Vous avez sans doute entendu parler de certains ordres de chevalerie, dont celui créé en Bourgogne et qui prit le nom "d’ordre de la toison d’or" (2). Cet ordre est maintenant sous la houlette des Habsbourg qui n’ont jamais renoncé à reprendre la Bourgogne à la France ? »
Don Romance savait surtout que cet ordre avait maintenant à sa tête Philippe IV d’Espagne, le frère de la reine Anne, le Cardinal continuait :
« Nous soupçonnons le roi Philippe IV, par le truchement de certains de ses agents, d’avoir fait en sorte que ces colliers arrivent jusqu’au roi de France. Ils ont été fabriqués par des artisans italiens, partisans de la reine Marie de Médicis prêts à pactiser avec les Habsbourg pour que cette dernière reprenne les rênes de la France. »
Ce fut maintenant au tour du roi de prendre la parole :
« Nous comptons sur vous pour retrouver Giuseppe Lumbini, le créateur de ces colliers. Il est probablement en France et peut-être même qu’il faisait partie de ces conspirateurs qui se font appeler Les faucons de Bourgogne et qui ont été vus par la Femme Babette. Un homme pourra vous aider, Monseigneur André Frémyot, il est actuellement en son hôtel parisien, je vous ferai parvenir une lettre d’introduction.
Pour le reste, je vous adjoins un de mes valeureux mousquetaires, Raoul d’Aspremont ! »
Le Cardinal se tourna vers le roi :
« Un seul mousquetaire votre majesté, n’est-ce pas peu ! »
Le roi eut enfin un sourire :
« Vous avez raison ! », il claqua des mains et comme par enchantement un soldat fit son apparition, une soubreveste dans un bras. Le roi se leva, prit le vêtement et se dirigea vers Jacob à qui il tendit le vêtement avec l’ordre de l’enfilé immédiatement : « Chevalier Jacob Baruch, vous faites partie désormais partie de ma compagnie de Mousquetaires, soyez digne de cet uniforme, servir le roi, c’est servir la France ».
Jacob ne pouvait dire un mot, l’émotion l’étranglait. En une fraction de minutes, il devenait Chevalier et Mousquetaire. Il promettait de faire honneur à cette soubreveste !
Alienor - Illustration Marie-Laure KÖNIG
Famille d’Apremont : http://users.skynet.be/am035431/pages/5%20Les%20Premiers%20Seigneurs%20dApremont/Apremont.html
Histoire de la toison d’or : http://lorl.free.fr/toison.htm