Alors que le prêtre s’en retournait vers l’auberge ou Jacob et lui avait pris une chambre, il restait assommé par sa découverte, non seulement Giuseppe était vivant, mais encore était-il passé par Rome et y avait rencontré des personnages importants dont Frémyot. Qu’avait-il dit ? Avait-il été chargé et si oui quelle était sa mission ? Avait-il quitté la vraie foi pour rejoindre ce groupe d’hérétiques ? Cherchait-il à se venger ?
Arrivé à l’hostellerie, il s’installa à une table et pendant qu’on lui amenait le vin qu’il avait commandé, il se plongea dans ses souvenirs.
Cadet d’une famille bourgeoise parisienne, c’est tout naturellement que Romance entama des études en la grande université de la Sorbonne. Fort pieux, il fut immédiatement attiré par les préceptes de la Compagnie de Jésus(1). Rêvant d’aventures, il fut séduit par la mission que les Jésuites s’étaient fixée : apporter la foi aux peuples indigènes. Jeune séminariste, il fut dans un premier temps envoyé au Collège de Rome. Les années qu’il passa dans cette école à apprendre, mais aussi à enseigner furent des plus formatrices. C’est là également qu’il rencontra celui qui devait devenir son ami, pour ainsi dire un frère : Giuseppe Lumbini. Ce jeune italien, d’abord joaillier, profondément religieux était totalement choqué par ces gens qui reniaient le pape, les saints et les lois de la Grande Église pour laquelle il voulait consacrer toute sa vie. Aussi avait-il quitté son premier métier pour épouser la cause de la Compagnie de Jésus.
Le français et l’italien s’étaient immédiatement retrouvés dans cette soif de diffuser le message chrétien et s’étaient portés volontaires pour rejoindre l’île du Mont Désert dans le Maine où quelques années auparavant les Jésuites avaient fondé l’établissement Saint-Sauveur(2). Malheureusement les Anglais avaient pris possession de cette terre et chassés les pères (3). La Compagnie de Jésus n’avait pas renoncé à répandre la bonne nouvelle parmi les Indiens et elle encouragea ces deux prêtres à reconquérir ces terres, pensant que si les choses tournaient mal, ils pourraient demander de l’aide auprès de la Nouvelle France voisine (4).
Arrivés dans cet endroit du monde, les deux hommes se fondèrent immédiatement parmi les peuples indiens présents comme les Abénakis (5) qui les accueillir assez bien. Ces Indiens n’étaient pas riches, mais le commerce des fourrures leur permettait de vivre convenablement.
Romance et Giuseppe auraient pu demeurer parmi ce peuple encore longtemps, mais le danger que représentait les Anglais n’était pas vain et plutôt que de rejoindre les Français ils préfèrent repartir pour le vieux continent et décidèrent de prendre un bateau à partir de Plymouth(6). À Rome, on leur avait transmis les coordonnées d’une famille à contacter qu’en cas d'insécurité : les Saint Clair. C’était des Français qui avaient épousé la nouvelle religion et avaient combattu le roi en 1622 lors de la bataille de l’île de Riez(7). À l’issue de cette guerre, la famille choisit de quitter définitivement la France pour le Nouveau Monde : il semblerait qu’elle avait des appuis parmi les catholiques et qu’en échange d’une aide pour aller hors du Royaume, on exigeait d’eux de protéger à leur tour des Français si le besoin s’en faisait sentir.
Aussi les Saint-Claire ne furent-ils pas autrement surpris que deux étrangers vinrent frapper à leur porte pour leur demander de l’aide.
Et c’est là que les ennuis commencèrent. Si Romance restait cloîtré dans sa chambre, il n’en allait pas de même de Giuseppe. Ce dernier semblait de plus en plus fébrile. Si au début de leur séjour, ils partageaient leurs repas dans leur chambre, l’italien chercha bientôt à en sortir sous tous les prétextes. Romance s’en inquiéta un peu au début, mais la confiance qu’il avait mise en son ami était à toute épreuve. Jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que le regard de son compagnon était souvent rêveur, qu’il faisait attention à son apparence plus qu’il ne le fallait. La vérité apparut soudainement à Romance, le prêtre était tombé amoureux. Romance qui ne fréquentait pas la famille savait qu’elle était composée de plusieurs enfants dont une fille aînée. S’il n’avait pas pris gare à la demoiselle, il en allait autrement de Giuseppe.
Le monde s’effondrait autour de Romance, comme s’il avait été lui-même trompé. Heureusement le départ était prévu dans la nuit qui suivait ce qui avait été pour lui une révélation digne d’un coup de tonnerre.
Giuseppe l’avait trahi, trahi également ses vœux, mais le retour vers l’Italie devait tout arranger.
C’était compter sans l’amour. Sur le bateau, alors que ce dernier était déjà loin de la côte américaine, Romance remarqua que l’attitude de Giuseppe, loin d’être apaisée, était au contraire de plus en plus nerveuse. Il ne tenait pas en place, quittant sa cabine le plus souvent possible pour prendre l’air frais comme il le disait à son compagnon.
Romance le suivit et découvrit qu’il n’était pas seul sur le pont, mais en compagnie d’une personne cachée sous une grande cape, était-ce possible que ce soit…. Tout s’effondrait autour de Romance au figuré, mais bientôt au vrai. Une nuit un méchant vent se leva, la mer se déchaîna, Guiseppe quitta la cabine suivit de Romance.
La vision de la cape fit son apparition bientôt rejointe par Guiseppe. Romance se précipita ; il était temps de parler au jeune prêtre.
Les deux hommes s’affrontèrent du regard : l’amitié avait place au défi, à la haine :
« Je te préviens Romance, je ne l’abandonnerai pas !
– Comprends-tu qu’à cause d’elle tu vas perdre ton âme, les tiens, tout ce en quoi tu croyais, tout ce pour quoi tu t’es battu jusqu’à présent ?
– Peu m’importe, je l’aime et aucun sacrifice ne sera trop dur du moment qu’elle est à mes côtés !
– Je ne te laisserai pas faire ! »
Une grande vague balaya le pont : Romance se jeta sur son ami, le déstabilisa et le vent aidant, le passa par-dessus bord. Il entendit un cri déchirant derrière lui, c’était la forme humaine sous la cape qui se dirigeait vers le bastingage dans l’espoir de rattraper Giuseppe. Romance sonné reprit ses esprits et s’approcha de la jeune femme pour l’empêcher de sauter, mais il était trop tard, il ne put attraper une main qui lui échappa très vite lui laissant simplement une chevalière en or sur laquelle était gravée un faucon.
« Puis-je me joindre à vous ? »
Romance sursauta, perdu dans les méandres nauséabonds de sa mémoire, il n’avait pas entendu Raoul d’Aspremont s’approcher. Il afficha à nouveau son éternel sourire jovial et invita le jeune homme à s’asseoir.
Il repensa à l’anneau que Raoul lui avait remis un peu plus tôt, en tout point identique à celui qu’il gardait précieusement dans une poche intérieure de sa chemise.
Jane Carlisle ne décolérait pas : se faire prendre comme une débutante par ce béjaune de Raoul d’Aspremont était déjà fâcheux, mais que celui-ci ait pu lui dérober sa bague était humiliant. Elle s’affala sur son lit et pleura de rage. Cette bague était tout ce qui lui restait de sa naissance : elle devait la récupérer coûte que coûte.
Toute sa vie elle avait dû se battre pour survivre et pour se faire une place. Née en novembre 1609 comme la jeune princesse, Henriette de France, sa mère Berthe, avait été choisie pour être la mère nourricière du bébé. Sœur de lait d’une fille de roi, elle avait compris très tôt qu’elle serait toujours malgré tout que la fille de la nourrice. Patiemment elle apprit à se fondre dans le décor, tout en sachant se rendre indispensable auprès d’Henriette. Aussi ce fut tout naturellement qu’elle suivit cette dernière en Angleterre, royaume du futur époux, Charles 1er.
C’est à cette occasion que celle qu’elle croyait être sa mère lui avoua qu’elles n’avaient aucun lien de parenté, qu’en fait un soir, elle avait trouvé un berceau devant sa porte avec une somme d’argent et cette bague flanquée d’un faucon et d’une inscription, Jane, Compiègne 1609.
La brave Berthe qui venait d’accoucher d’une enfante mort-né, prit ce nouveau bébé comme un cadeau du ciel et l’éleva comme sa propre fille.
Jane accueillit la nouvelle sans broncher. Elle aimait cette femme, mais sa vie était désormais ailleurs. Elle prit la bague et partit sans se retourner. Son unique but serait maintenant de trouver la vérité. Il lui fallait d’abord s’établir, ce qu’elle fit en acceptant d’épouser le Comte James Carlisle. Désormais riche, mariée, bénéficiant de bonnes relations grâce à la désormais reine Henriette, sa quête pouvait débuter.
Alors que Jane Carlisle était encore plongée dans ses pensées, une servante entra :
« May Lady, un prêtre du nom de Romance, demande à être reçu !
Après le premier étonnement passé, Jane se fit une contenance :
– Très bien, faites-le attendre au salon et dites-lui que j’arrive.
Étant au service de la reine Marie de Médicis, Jane avait reçu l’autorisation d’occuper une dépendance du Palais du Luxembourg. Elle se dirigea vers le salon où le prêtre l’attendait. Elle prit un siège et invita le prêtre à prendre place en face d’elle.
– My Lady, je viens jusqu’à vous pour vous rendre un objet qui est entré malencontreusement en possession d’une connaissance commune.
Jane eut un sourire pincé. Le prêtre continua :
– Voici l’objet !
Elle s’en saisit immédiatement avec un regard de triomphe qui se changea presque immédiatement en vive stupéfaction :
– Mais…. Qu’est-ce que cela signifie !? »
Romance venait de lui remettre la bague d’Ambre.
Illustration : Marie-Laure KÖNIG
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnie_de_J%C3%A9sus
- https://wikimonde.com/article/%C3%8Ele_des_Monts_D%C3%A9serts
- http://www.biographi.ca/fr/bio/argall_samuel_1F.html
- L’actuel Québec
- http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/abenaquis-1/
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonie_de_Plymouth