Saint-Jean-aux-Bois, l’an de grâce 1631.
Gabrielle de l’Aubespine(1) regardait, impassible, le groupe qui se tenait devant elle. Abbesse de l’abbaye de Saint-Jean-aux-Bois (2), elle pensait qu’après le départ de la reine mère, Marie de Médicis, la vie redeviendrait paisible, que les militaires du roi partis, tout reprendrait son cours dans la quiétude de cette forêt de Compiègne qu’elle avait appris à aimer.
Et voilà que revenait ce jésuite, Romance, qui lui avait été imposé près d’un an plus tôt par le pape, accompagné de deux mousquetaires du roi et de ces deux femmes identiques. Que venaient-ils faire ici. La reine avait fui Compiègne, mais le danger restait palpable, celui des bandits de grand chemin sans foi ni loi pour qui le respect de religieuses n’était rien. Peut-être qu’après tout, la présence de ces hommes aguerris sachant magner les armes pourrait un temps protéger les sœurs bénédictines.
Aussi décida-t-elle de leur offrir l’hospitalité à condition que tous ces gens se montrent discrets, ce qu’ils promirent d’emblée.
« Des chambres seront mises à votre disposition et vos chevaux seront également pris en charge. Toutefois, pourrais-je vous demander le but de ce séjour alors que la reine a quitté Compiègne ?
Romance, du fait de son âge et de sa position de prêtre ouvrit la discussion :
– Auriez-vous entendu parler, ma mère, d’événements qui auraient eu lieu en l’année 1609 en cette ville de Compiègne ?
Il fallut peu de temps à l’abbesse pour répondre, l’année en question étant encore dans toutes les mémoires de la région.
– C’est cette année-là que fut exécuté Oudin Véron(3), sinistre individu, grand bandit, détrousseur et assassin. Il donna la mort aux deux ermites de la Croix du Saint Signe. Ce fut terrible, seul un monstre pouvait ôter la vie de deux saints hommes seulement chargés d’honorer le Saint Linge (4). Jamais on ne retrouva les corps de ces martyres (5), deux hommes pieux dont la porte était toujours ouverte aux pèlerins.
Jane qui avait gardé jusque-là le silence, discrète comme il convenait à une dame, respectueuse des lieux où elle se trouvait, profita de l'occasion qui lui fut donnée d'en connaître davantage sur ses origines :
– Pardonnez-moi ma mère de prendre ainsi la parole, mais parmi ces pèlerins, y avait-il des gens étrangers, des personnes qui venaient de loin, peut-être même des fuyards qui cherchaient là l’absolution de leurs fautes ?
Loin de lui en vouloir pour cette interruption, la mère supérieure répondit avec bienveillance :
– Fuyard est bien le bon terme, l’année 1609 fut bien âpre pour feu le roi Henri. Tombé en amour pour une jeune écervelée, Charlotte de Montmorency, promise au Marquis d’Haroué, François de Bassompierre. Il ordonna que les fiançailles soient rompues et fit en sorte que l’objet de toutes ses pensées soit marié au Prince de Condé, supposant que ce dernier serait un époux des plus complaisants (6). Malheureusement pour le roi, ce prince avait de l’honneur aussi préféra-t-il soustraire sa future dame de la cour et l’emmener loin de la convoitise suprême, à Bruxelles. Le couple passa par Compiègne et s’y arrêta quelques jours. C’était peut-être trois ou quatre mois après ces meurtres odieux. Il est plus que probable que ce couple qui fuyait la concupiscence du Vert-Galant se soit recueilli à la chapelle du Saint Signe.
La mère supérieure se tue. Romance comprit que l’entretient était terminée et que de toute façon, il n’y avait de plus à apprendre de la révérende dame.
Le groupe quitta la salle, traversèrent la cour, puis aux portes de l’abbaye, Romance se tourna vers ses compagnons :
– Nous devons nous rendre à la Chapelle du Saint-Signe pour essayer d’en savoir plus et ensuite nous retournerons au Louvre pour demander audience au roi et au cardinal.
Devant les regards étonnés, il poursuivit :
– Si les dames ici présentes sont de la lignée, d’une manière ou d’une autre, à la puissante famille de Condé, nous devons en avertir le roi. La situation n’est pas seulement dangereuse pour nos deux amies, mais pourrait avoir également des répercussions que nous ne soupçonnons pas pour le Royaume. Nous ne pouvons agir seuls ».
Après l’assentiment du groupe, tous prirent la direction de Compiègne, chevauchant avec le sentiment que les événements passés auraient une conséquence peut-être dramatique sur ceux de l’avenir.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_de_L%27Aubespine
- http://www.histoire-compiegne.com/imageProvider.asp?private_resource=10620&fn=14-21%2Epdf
- http://www.leparisien.fr/compiegne-60200/dans-les-pas-d-oudin-veron-le-plus-terrifiant-des-bandits-compiegnois-27-05-2017-6989106.php
- EWIG Léon, Compiègne et ses environs, 1836, https://books.google.fr/books?id=rfkTAAAAQAAJ&pg=PA48&lpg=PA48&dq=saint+suaire+compiegne&source=bl&ots=aeW2IH938_&sig=IOxLRV48KCP2bBD_4pp4AZqSD18&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiwyND76PrYAhWKIsAKHW9uBD0Q6AEIZzAM#v=onepage&q&f=false
- Les restes humains furent retrouvés en 1975
- http://favoritesroyales.canalblog.com/archives/2011/05/26/21233487.html