Compiègne, l’an de grâce 1631
Marie de Médicis était lasse, lasse de se battre, lasse de vivre et pourtant la rage était en elle, une rage sourde et aveugle : seule une haine tenace la maintenait debout.
Jamais une reine n’avait été traitée aussi vilement ! Elle connaissait pourtant tous les arcanes de la cour, savait parfaitement qu’il fallait se méfier de tous, mais son cœur n’avait pu s’empêcher d’aimer une femme d’abord, Leonora, un homme ensuite, Concino.
Ils étaient tous deux de sa race, parlaient la même langue, voire le même langage : celui du pouvoir. Ce poison qui entrait dans la tête, descendait jusqu’aux tripes et vous rongeait jusqu’à en mourir.
Et puis il était arrivé. Elle s’en était de prime abord méfiée, mais tel un félin, il avait fait le dos rond, avait ronronné, flattée et avait fini par l’endormir : il lui avait fait croire qu’il servait ses intérêts lors qu’il ne répondait qu’aux siens propres. Elle ne pouvait penser désormais à lui sans entrer dans une rage folle : Richelieu !
Ce traite, ce scélérat, ce ce ce… aucun mot ne pouvait décrire la haine qu’elle ressentait pour cet homme et aujourd’hui, non content d’avoir contribué à cet exil en ce château compiégnois (1) il lui avait adjoint un de ses sbires venu de « je ne sais où », un dénommé Jacob BARUCH.
Jacob BARUCH...
Contrairement à la reine mère, Jacob se plaisait en ce Château de Compiègne. Des travaux de rénovation étaient en court depuis plusieurs années et sa position en milieu de cette belle forêt propice à la chasse et fortement appréciée par le roi en avait fait un lieu à la fois de villégiature et stratégique pour recevoir des délégations d’autres royaumes.
Il faut dire que si sa mission auprès de la reine participait à son avancement futur, il n’en allait pas de même pour la souveraine.
Jacob regardait cette femme tristement. La chute avait été vertigineuse, de régnante, elle était devenue paria. Bouffie d’orgueil, elle avait refusé de voir que sa mission était de transmettre le trône à son fils aîné et qu’en aucun cas, elle ne pouvait conserver le pouvoir éternellement. Dans sa soif de puissance, elle avait combattu ce fils et elle avait perdu, mais refusait de l’admettre.
Richelieu, l’homme de confiance du roi et qui connaissait parfaitement la reine mère pour l’avoir côtoyée de nombreuses années avait essayé dans un premier temps de réconcilier l’irréconciliable. Il avait fini par jeter l’éponge et choisir le parti du roi. Il savait que Marie ne renoncerait jamais même si les dés étaient déjà jetés et qu’il fallait surveiller cette vieille lionne. D’où la présence de celui qui lui semblait le plus à même de mener cette mission : Jacob BARUCH.
Jacob était issu d’une famille juive espagnole qui après avoir dû renoncer à sa foi quitta la péninsule ibérique, franchit les Pyrénées pour chercher ailleurs un peu de paix. Certains membres de la famille avaient déposé leurs bagages dans le sud de la France, d’autres, comme le grand-père de Jacob, avaient préféré mettre encore plus de distance avec leur terre d’origine et avaient décidé de s’installer dans le nord, dans ce pays de Brabant disputé régulièrement par les Espagnols et les Français. La famille avait choisi de s’installer à Bruxelles.
Jacob était un homme jeune, bien fait de sa personne, parlait parfaitement le français, l’espagnol, le néerlandais et avait quelques connaissances d’anglais. De très bonnes études complétaient ce personnage rare pour l’époque. Tout ceci fit qu’on le remarqua et qu’on parla de lui au Cardinal de Richelieu qui ne manquait jamais de prendre à son service des hommes et des femmes de qualité et ce quel que soit les origines de ces derniers pourvu qu’ils ne sympathisent pas avec les huguenots.
Un an plus tôt, Jacob galopait vers Paris, une lettre d’introduction pour la cour de France dans ses sacoches. Arrivé à destination, lui qui pensait, fol qu’il était, rencontrer les plus grands, fut directement conduit à la salle des armes. Après le maniement du mousquet, on lui apprit à bretter, à feinter, à tirer l’épée. La discipline, la promiscuité avec d’autres apprenants, parachevèrent son éducation soldatesque.
Sa future mission, dont il n’avait encore aucune idée ni de la raison ni de la forme, demandait qu’il soit combattant sans peur ni faille, mais il restait ensuite le plus dur à effectuer.
Pour compléter sa formation afin qu’il répondre à la mission que le Cardinal comptait lui donner il lui fallait apprendre à bien paraître en cour. On lui présenta celle qui allait devenir sa professeure : Dame Aliénor de La Vega. Cette rencontre allait bouleverser la vie de Jacob à jamais.
La tournure de la Dame ; costume confortable, sans colifichet ou autres dentelles, d’apparence sobre, intimida Jacob au plus haut point. Elle était cependant très élégante et son maintien forçait le respect.
Il n’osait jamais la contredire, écoutait religieusement ses conseils de bienséance. À la fin de chaque entrevue avec Aliénor, bien qu’il ne s’agisse jamais de rendez-vous galant, il languissait déjà de la revoir, espérant que le temps passa rapidement jusqu’au prochain entretien, son cœur battant à chaque regard ou attention particulière qu’elle voulait bien, lui concéder…
Et ce jour arriva, lorsqu’Aliénor lui proposa de lui apprendre à danser. De doux regards, des frôlements, un pas mal effectué qui fit basculer Jacob ; rattrapé par la dame, il la prit dans ses bras et lui donna un léger baiser. Un peu sonné par son audace, il se mit à rougir comme un débutant. Elle lui sourit.
À partir de ce moment, leur relation évolua. De statut d’élève, il prit celui d’ami et de confident.
Née en Espagne au sein d’une famille qui servait Philippe III, c’est tout naturellement qu’elle fut élevée au milieu des enfants royaux. Du même âge que l’infante, Anne d’Autriche, une amitié s’était nouée. Aussi, était-ce dans la logique des choses qu’elle suivit cette dernière en France qui devenait par mariage avec le jeune Louis XIII la terre d’accueil d’Anne et par extension celle d’Aliénor.
L’indifférence de son royal époux, le mépris de sa belle-mère Marie de Médicis et la méfiance du Cardinal de Richelieu isolèrent mieux que la prison la princesse espagnole et son entourage. Mais le plus grave était bien le fait que cette reine pourtant jeune et jolie n’arrivait pas à mener une grossesse à terme, ce qui mettait l’équilibre de la France en péril.
Aussi quand on proposa à Aliénor de transformer un garçon instruit, mais peu éduqué en parfait chevalier, elle accepta la mission qui lui était confiée, avec l’espoir que cela permettrait à la reine Anne d’entrer un peu en grâce aux yeux du Cardinal.
Aliénor pensait aux dernières confidences de la Reine Anne. Sa Majesté lui avait rapporté la menace que faisait peser sur elle une dame anglaise Lady Carlisle. On ne savait pas grand-chose de cette dernière si ce n’est que c’était une intrigante acceptant la récompense du plus offrant pour mener des missions dont peu importait les conséquences du moment qu’elles servaient les intérêts de la Dame. Cette dernière, sur la demande d’un puissant anglais, avait volé certaines parties d’un collier en diamant que le roi avait offert à son épouse. Heureusement des fidèles de la reine avaient pu récupérer le bijou. Mais quelque chose continuait à tracasser cette dernière. Aliénor n’avait pu en découvrir les motifs, mais elle était persuadée que le bijou était encore en cause.
« Aie ! »
Une douleur qui venait de son pied la ramena à la réalité. Jacob qui s’évertuait à mener au mieux un pas de danse venait de lui marcher sur le gros orteil.
« Et bien, monsieur, il y a encore de gros progrès à effectuer avant que vous ne puissiez fréquenter la Cour ! »
Jacob baissa la tête d’un air penaud. Aliénor lui toucha la main du bout de ses doigts et lui indiqua un siège, elle-même s’installant sur un autre.
« J’ai à vous entretenir de choses sérieuses ».
Le ton était grave et ne souffrait pas d’interruption, Jacob écouta :
« La mission que le roi souhaite vous confier par le truchement du Cardinal est d’importance. Vous n’êtes pas sans savoir que Sa Majesté, la mère de notre sire bien aimé, Marie de Médicis, grande comploteuse, n’hésitera pas à mettre le royaume de France à feu et à sang pour obtenir ce qu’elle désire. Aussi, devient-il urgent de l’éloigner de la Cour : la destination choisie : Compiègne. Le roi, connaissant sa mère, sait déjà qu’elle n’y restera pas et fera tout pour s’en échapper. Toutefois il n’est pas souhaitable qu’elle réapparaisse dans notre bonne ville de Paris. Aussi faudrait-il lui suggérer de partir, mais loin, vers le nord par exemple. Telle sera votre mission : accompagner la reine à Compiègne et la convaincre ensuite de quitter notre pays ».
Jacob restait abasourdi par ce qu’il venait d’entendre, mais déjà Aliénor reprenait la parole :
« Une seconde mission vous attend, encore plus secrète, confiée cette fois-ci par ma bonne reine, Anne d’Autriche... ».
La jeune femme se leva, s’approcha d’un secrétaire et après en avoir actionné le mécanisme, sortie d’un tiroir secret un coffret, elle se tourna vers Jacob :
« Dans ce coffret se trouve un collier de diamants qui fut en son temps l’objet de toutes les convoitises. Il appartient à ma bonne reine Anne. Il lui fut offert par son époux lors d’une tentative de réconciliation, mais certaines pierres furent volées pour être ensuite, fort heureusement récupérées. Forte de cette malheureuse expérience, la reine a fait faire une copie de ce collier et souhaiterait maintenant mettre en lieu sûr le véritable bijou. Elle compte sur vous pour cela. Lorsque vous serez à Compiègne, allez dans le village de Saint-Jean-aux-Bois et demandez-y Sœur Séraphine : c’est elle qui vous donnera la suite de la mission. »
Aliénor se tut quelques secondes puis reprit :
« Une chose encore, faites très attention, une femme cherchera certainement à vous contacter : elle est très belle, mais derrière son visage angélique se cache une véritable démone. Elle est anglaise, mais parle un français sans accent : méfiez-vous d’elle, car elle cherchera tout droit à vous conduire à votre perte ».
Illustration - Marie-Laure KÖNIG
- Après maintes conspirations à l’encontre de son fils, le roi Louis XIII, Marie de Médicis est conduite à Compiègne : elle y restera de février 1631 au 19 juillet 1631 pour se rendre ensuite à Bruxelles. (Retour à la lecture)