La course effrénée du matin. Lever le petit, l'habiller, s'habiller, prendre le petit déjeuner, refermer les fenêtres des chambres, prendre la liste de courses, le sac, l'attaché case, mettre ses chaussures, manteaux, fermer l'appartement et enfin partir.
Mathilde, jeune responsable commerciale en produits cosmétiques, poursuit sa vie parisienne comme beaucoup d'autres, à un rythme qui ne laisse pas beaucoup de place au hasard. Le père de Matthéo est régulièrement en déplacement en tant qu'interprète. Mathilde tâche donc organiser tant bien que mal les journées, prévoir les activités du petit qui, à 8 ans, suit déjà un programme de natation digne d'un grand sportif, penser à prévenir la nounou en fin de semaine car le travail s'accumule toujours, penser aux courses, acheter les tickets de cantine -tiens d'ailleurs combien en reste-t-il ? -, répondre aux courriers, payer les factures, surveiller les comptes, et faire le ménage quand le temps et la motivation seront là...
Sur la route vers l'école, Mathilde pense déjà à sa journée à venir. Nourrir le chat ! Mince ! Voilà ce que Meredith a oublié. Grisou, un gentil matou de 9 ans qu'elle pense pourtant tous les jours à nourrir, après que celui-ci soit venu lui dire bonjour en ronronnant et se frottant contre ses jambes... Elle s'en veut de l'avoir oublié comment est-ce possible dans les rituels matinaux si méticuleux ?
"Maman qui vient me chercher ce soir à l'école ? S’inquiète Matthéo alors qu'ils arrivent à l’arrêt de bus.
- Ce sera moi mon chéri, et je t’amènerai à la piscine ensuite. Mince le sac de piscine ! Tu l'as avec toi ? S’enquit-elle
- Ben non maman d'habitude tu le mets dans l'entrée à côté de mes chaussures pour pas l'oublier...
- Zut mais qu'est qu'il m'arrive ces temps-ci !! Bon écoute on achètera un maillot et un bonnet à l'entrée de la piscine ce soir..."
Voilà qui commençait à sérieusement inquiéter Meredith. Deux oublis aujourd'hui. Et hier, elle avait loupé le rendez-vous avec la professeure de son fils. Mais le plus étonnant est qu'elle ne se souvient plus avoir reçu ce coup de téléphone pour prévoir ce rendrez-vous et elle ne se revoit pas le noter dans son agenda. Pourtant, l'annotation y figure bien, de sa propre écriture "Mardi 12 Avril : 18h- RDV école Matthéo".
Arrivés devant l'école Jules Ferry, Meredith embrassa alors son jeune garçon et pris la direction BioCosmétiques à quelques rues de là. Plongée dans ses pensées, elle eu une vision étrange. Il y avait beaucoup de monde dans la rue, tous pressés, avec leurs écouteurs, concentrés. Elle vit alors, au loin, sur le même trottoir qu'elle, une petite fille habillée de fripes, les cheveux ébouriffés, un bras ensanglanté, pleurant toutes les larmes de son corps. Elle la voyait par intermittence car des personnes passait devant la petite sans même s’arrêter. Étrange. Meredith se mit à courir dans sa direction, poussant quelques personnes qui attendaient le bus, mais une seconde plus tard, la petite fille avait disparue. Choquée, Meredith resta sur place, chercha tout autour d'elle mais pas de traces de cette fillette. Face au stoïcisme des passants aux alentours, elle se raisonna et après un moment comme en suspend, elle décida de reprendre sa route vers son entreprise...
Elle salua ses collègues et s'installa à son poste, toujours sous le choc. La journée se déroula sans accroches, entre réunions et coups de téléphone. Elle alla ensuite chercher son petit garçon à l'école et l'emmena à la piscine. Une journée somme toute banale, une fois celle-ci finie, elle alla se coucher. Le sommeil la gagna rapidement. Un sommeil troublé, les images de la petite fille vinrent la troubler à nouveau dans ses rêves.
Six heures, le réveil sonne. Le même rituel. Lors de petit déjeuner, Matthéo a pris l'habitude de raconter ses rêves à sa maman, une façon de dédramatiser certains cauchemars. Une course entre copains dans la cour, avec beaucoup de rires. Il continua à le détailler quand soudain, Meredith eu un flash. Une vision très nette. Cette même petite fille, en pleine forme, riant devant une scène de bagarre dans ce qui semblait être une cour de récré. Meredith voulut s'approcher mais elle n'y parvenait pas, elle se sentait trop déstabilisée face à cette fillette qu'elle n'arrivait pas à comprendre. Au loin, elle entendit une voix de garçonnet. Que disait-il ? La voix se rapprochait et elle entendit “Maman ! Maman qu'est-ce qu'il t'arrive ?”
Elle revint soudain à elle.
“Maman pourquoi tu ne me réponds pas ? Et toi tu as rêvé de quoi cette nuit ?
- Je ne me souviens plus mon ange... Répondit-elle”
Que lui arrivait-il ? Cette absence l’inquiéta beaucoup, ces visions qui revenaient sans cesse. Avait-elle des hallucinations ? Et tous ces oublis ? Un début d'Alzheimer avec des périodes de désorientation, comme tante Hilda ? Elle était très renseignée sur cette pathologie car elle avait dû aider sa mère à s'occuper de cette tante, qui sortait faire son marché à trois heures du matin, qui ne mangeait plus, qui était désorientée et pensait voir des gens passer chez elle.
Ce devait être cela... Mais ça ne peut durer, elle finira par mettre son enfant en danger ? Et si cela lui arrive quand elle sera au volant ?
Elle regarda la petite horloge au dessus du frigo et il était déjà l'heure de partir. Elle pressa son fils et alla se brosser les dents. Ils prirent la direction de l'école, puis Meredith partit vers son travail. Elle fut vigilante au moment de passer là où elle avait vu la petite la veille mais elle n'était pas présente ce jour... Une fois installée à son bureau, elle se mit au travail. Elle était au téléphone lorsqu'une sensation particulière la traversa, comme un frisson, accompagnée d'une douleur brutale dans la nuque. Elle était toujours à son poste. Elle vit alors son patron, Mr Voce passer dans l'open space, et tomber à même le sol, comme pris d'un malaise. Cette même sensation d'ignorance des personnes présentes dans la pièce la déstabilisa. Elle voulut se lever pour aller l'aider mais n'y parvint pas. Un seconde frisson la parcourut, elle réussit à se lever mais son supérieur n'était plus là. Un rêve ? Une autre hallucination ? Mathilde sentit son cœur battre rapidement, inquiète. Elle se dirigea vers le bureau de Mr Voce. Celui-ci avait pour habitude de laisser sa porte ouverte. Il était assis à son bureau, concentré sur son écran d'ordinateur avec de nombreux dossier ouverts devant lui. Perdue, Mathilde ne sut que faire. Elle retourna s'asseoir et repris son travail.
La fin de journée approcha, mais toujours inquiète, elle décida d'aller prendre un thé dans la salle de pause. Elle y retrouva Joséphine, une collègue de longue date, devenue une bonne amie.
“Ah Mathilde ! Dis donc tu fais une drôle de tête tu as l'air fatiguée, c'est encore Matthéo qui te réveille avec ses cauchemars ?
- Non pas vraiment, c'est plutôt moi qui fait des cauchemars, enfin c'est bizarre on va dire que je suis fatiguée...
- Comment ça ?
- J'ai l'impression d'avoir des sortes d'hallucinations et d’absences dans la journée... Toute à l'heure j'ai cru voir Mr Voce s'évanouir dans mon open space et 2 min après je le vois dans son bureau entre train de travailler... Et ce n'est pas la première fois que cela m'arrive...
- Il n'a pourtant pas bouger de son bureau aujourd'hui ! Tu n'as pas l'air en forme Math, tu devrais vraiment aller voir un médecin je pense... Tu ferais pas un burn-out ? Avec le petit, ses cours, et ton planning surchargé entres autres ? Promet moi de prendre rendez-vous chez ton médecin Mathilde, je te trouve bizarre depuis quelques temps ...
- Oui je vais le faire ça vaudrait mieux...”
Elle repartit alors dans son bureau et appela le secrétariat de son médecin pour prendre rendez-vous. Coup de chance, un désistement de dernière minute lui permettra d'y aller ce soir. Cela tombe bien, Matthéo est accompagné par la maman d'un copain pour la piscine ce soir.
A dix-huit heures, Mathilde quitta alors son bureau pour se rendre chez son médecin. Elle s'installa dans la salle d'attente. Elle se demanda alors ce qu'elle faisait là. Que va-t-elle lui dire ? “Bonjour, je suis victime d'hallucinations, enfin c'est ce que je crois, avez-vous des cachets contre cela ?” “Bonjour, je crois que je déraille...”
Enfin ce fut son tour. Elle s’installa sur le siège en face du bureau. Mme Hoda était une femme vraiment charmante, qui la suivait depuis déjà quelques années.
“Bonjour, alors qu'est-ce qui vous fait venir ici aujourd'hui ?
- Hum c'est assez particulier mais je vais tâcher de vous l'expliquer comme je l'ai ressentit...
- Bien sur ne vous en faites pas je suis là pour vous écouter.
- Et bien depuis quelques temps, j'ai l'impression d'avoir des absences en journées... Je fais des choses mais je ne me souviens pas, comme cette fois où j'ai reçu un appel de l'école de Matthéo pour prendre rendez-vous, j'ai noté le rendez-vous mais je ne me souviens pas de cet appel, ni de qui l'a passé... J'oublis aussi des choses qui font parties de mes rituels, nourrir le chat, prendre le sac de piscine, cela ne m'arrive jamais je m'organise pour que cela n'arrive pas ! Je ne comprends pas... Et dernièrement il m'est arrivé d'autres choses plus déstabilisantes et c'est pourquoi je suis là. J'ai comme des hallucinations. Je vois des choses à l'endroit où je suis, mais personne d'autre ne semble les voir, comme des rêves éveillés... Une petite fille blessée dans la rue, en pleurs et personne ne semblait la voir, puis elle a disparut, volatilisée !-elle commençait à s'emporter alors qu'elle racontait tout cela- Et tout à l'heure, mon patron qui s'évanouit dans mon open space, personne ne bouge, et finalement quelques secondes plus tard je me rends compte qu'il n'a pas quitté son bureau et travaille tranquillement. -Les sanglots montaient en elle-. Je me sens bête de vous raconter tout cela... Je ne sais pas ce qu'il m’arrive docteur... Je dors bien la nuit, je mange bien, je suis épanouie à mon travail ça ne peut être un burn out si ?
- Bien alors j'ai quelques questions, plusieurs possibilités pourraient justifier ces phénomènes et vous faites bien de venir mon voir. -Dr hoda lui tendit une boite de mouchoirs- Ces visions de malheurs peuvent être dues à une sorte d'anxiété qui se traduit par ses visions, si elles sont courtes et ... “
Mais Mathilde décrocha, elle ne put écouter la fin du discours du médecin. Elle sentit à nouveau la raideur dans sa nuque mais n'eut pas de vision particulière à ce moment. Quelques secondes plus tard elle revint à elle, toujours assise face à cette femme qui avait à ce moment un petit sourire en coin. Elle lui dit enfin ceci, qui fut comme une délivrance pour Mathilde :
”Je pense savoir ce que vous avez et suis contente d'avoir assisté à ce moment. Vous devez être atteinte de ce que l'on appelle communément "narcolepsie". Vous vous endormez quelques secondes à quelques minutes, en journée, et vous avez effectivement de courtes périodes de “Rêves”. Vous allez passer quelques examens, cette maladie va être prise en charge et vous pourrez enfin retrouver votre confort de vie, je peux vous l'assurer.”
Une délivrance, elle n'était pas folle, démente, une maladie qui lui semblait originale mais pas si méchante que cela finalement...